Editos 25-26

À la question « Pourquoi le théâtre est-il bourgeois ? » posée par un journaliste, Jean-Paul Sartre répondit :
« La question n’est pas de savoir pourquoi le théâtre est bourgeois mais bien de savoir comment la bourgeoisie s’est emparée du théâtre. Comment la bourgeoisie s’est appropriée le théâtre alors que les grandes tragédies grecques ou les pièces de Shakespeare étaient regardées par des personnes de tout horizon, de toute classe, sans distinction. Si la bourgeoisie a volé le théâtre aux classes populaires, c’est pour asseoir sa domination, c’est pour se distinguer des ouvriers. La question que l’on doit se poser aujourd’hui, c’est comment on peut transformer l’art et la culture à partir de cette situation, comment on peut rendre l’art et la culture aux classes populaires ? ».
Ces mots de Jean-Paul Sartre résonnent particulièrement dans ce qui anime l’histoire du Théâtre Traversière, lieu culturel des cheminot.es, seul théâtre parisien à gestion ouvrière et dont les seuls revenus – outre la billetterie – proviennent du salaire socialisé des cheminot.es de région parisienne, via les Comités d’Entreprise de la SNCF (CASI SNCF).
La question que Jean-Paul Sartre posait sans pouvoir y apporter de réponse est évidemment d’actualité. À l’heure où la bourgeoisie néo-libérale prend des accents autoritaires, il nous apparaît que ce lieu engagé – par nature – doit être au carrefour de la réflexion pour faire venir celles et ceux qui pensent que leur place n’est pas dans un lieu où on se cultive, où l’on rit, où l’on s’émeut, finalement où l’on vit.
Pensée comme un rempart au défaitisme ambiant, volontairement joyeuse et subversive, notre programmation 2025/2026 entend amorcer une esquisse de réponse à la question de Sartre : comment rendre l’art et la culture aux classes populaires ? En leur laissant la scène !
De Reda Seddiki à Lou Trotignon en passant par Djamil le Schlag, de Sanseverino à Angelo Debarre, de La Coya à Malaka, que ce soit en musique (rap, punk, jazz, folk,…) en théâtre (Shakespeare et Rostand revisités par la compagnie Tamerantong et Chapitre 13 de Sarcelles), ou dans le cadre de notre festival Traversons ! Vers le Brésil, nous mettons en avant celles et ceux des classes populaires qui sont les artistes d’aujourd’hui, affranchis des codes bourgeois et s’étant réapproprié l’art et la culture.
On compte sur vous pour (ré)investir ce lieu qui est le vôtre !Par Damien IOZZIA, Président de l’association Théâtre Traversière
Nous ne resterons pas là, à regarder le monde céder à l’indifférence, l’individualisme et l’atomisation sociale sans agir.
Nous croyons aux lieux qui rassemblent. Aux lieux qui éveillent, relient et réparent.À Traversière, nous tissons un cocon. Un espace où l’on s’émerveille, où l’on s’interroge, où l’on réfléchit, où l’on discute, où l’on rit – ensemble. Un lieu pour l’échange, l’intelligence sensible.
Ici, le théâtre est un acte d’amour et de résistance. Il appartient à celles et ceux qui en sont trop souvent tenus à distance. C’est un lieu ouvrier, le théâtre des cheminot·e·s, soutenu par leur solidarité, nourri de leur implication.
Cette saison, vous croiserez des pères absents et des fils en quête (L’île aux pères), une école qui ne fonctionne plus pour tout le monde (Kévin), une langue française qu’on interroge sans tabou (La Convivialité), une sortie de vie choisie qui devient acte politique (Exit), des récits de migration, de résilience, d’amour (Ticrad, Projet Cuervo, Je voudrais parler de Duras) et bien d’autres… À Traversière, nous aimons les voix indociles, les histoires qu’on n’attend pas. Nous avons à cœur d’ouvrir la scène à celles et ceux qu’on ne met pas toujours en lumière.
Ce n’est pas un simple théâtre. C’est un refus d’abdiquer. Un lieu où les colères deviennent poésie, où les blessures se racontent, où l’imaginaire est politique.
Et pourquoi pas rêver, ensemble ?
Par Maliyel MUÑOZ-FOURNEL, Gestionnaire du Théâtre Traversière